Chers lecteurs et chères lectrices,
Il a été porté à ma connaissance que dans certaines écoles de commerce, les primes à la publication allaient bon train… C’est le parfait sujet pour commencer une nouvelle tradition : la rédaction d’un post à 4 mains avec ma source, que nous appellerons ici Anti-Héro(n). L’avantage, quand on commence à être reconnu et d’avoir des fans, c’est de ne plus avoir à courir après l’information. Celle-ci vient directement à moi.
On pourrait croire que ce blog prend un tournant journalistique avec ce sujet. Il n’en est rien, ou du moins, ce n’est pas notre objectif. Pour Anti-Héro(n), c’est l’occasion de faire connaître une pratique encore peu connue de nos collègues du public, et pour moi, de proposer des pistes de réflexions sur les avantages et les limites de la prime à la publication quand on est chercheur indépendant.
Le titre de ce poste peut paraître parfaitement outrageux et putaclic, mais il est pourtant vrai. Certains enseignants-chercheurs d’écoles de commerce peuvent gagner des sommes folles grâce aux primes à la publication. Le montant de certains « bonus » étant si importants qu’une école de commerce a dû mettre le holà sur les primes cette année.
La pratique des primes à la publication, bien qu’inexistante à l’université publique, est pourtant très commune dans les écoles de commerce. « Tel est pris qui croyait prendre ? », en effet ces primes sont souvent mises en avant dans le recrutement d’enseignants-chercheurs aux seins de ces institutions.
Le principe : plus vous publiez dans des tops revues, plus le flouse afflue.
Pour un article publié dans une revue de rang 1 étoilée selon le classement de la FNEGE, il n’est pas rare de recevoir plusieurs milliers d’euros de prime à la fin de l’année. En 2018 à l’EM Lyon par exemple, un article publié dans une revue de rang 4 était rémunéré 1000 €, tandis qu’un rang 1 pouvait rapporter près de 16 000€ (vous pouvez trouver ces informations ici).
Et ça a donné des idées à des petits malins.
Après tout, ils ou elles enseignent en école de commerce. Il fallait bien se douter que certains allaient bien détourner la pratique de la prime en business. Non ?
Mais pour faire en sorte de gagner plus de 100k€ par an, il faut en publier des articles. Beaucoup d’articles. Environ 20-25 par an, en fonction des primes pratiquées par les écoles de co. Et dire que la fameuse maxime du publish or perish est plus ou moins calquée sur 3 articles par an…. Vraiment, nous sommes des petits joueurs Anti-Héro(n) et moi.
C’est là que, chers lecteurs et chères lectrices, vous vous êtes sans doute exclamés : mais il est tout simplement impossible de publier 20 articles par an !!!!
Que nenni quand vous faites appel à des research paper mills. Ce n’est pas une légende urbaine et ils existent réellement. Certains ont même pignon sur rue. C’est le cas de Science Publisher, qui bien sûr ne se définit pas comme tel, mais c’est tout comme.

Parfois c’est le chercheur qui transmet l’idée et la problématique, et ils ne s’occupent que de faire des « états de l’art » « très poussés ». Mais le système est tout de même bien rodé sur le principe financier.
Le principe : vous leur filez une part du flouze, et les articles arrivent par paquet de douze.
(On exagère un peu, oui, mais nous trouvions la rime intéressante).
Cette affirmation peut avoir le mérite de mener à une introspection. Cette pratique peut particulièrement discréditer la recherche. Il faut bien comprendre que nous ne faisons plus face à des experts d’un sujet ou d’un domaine. Plutôt à des experts d’un système (financier), lui-même décodé façon Prison Break.
Au moment où nous assistons au retour fracassant des théoriciens complotistes qui trouvent chaque jour de nouveaux disciples pour remettre en cause la Science, que vaut ce signal d’enseignant-chercheurs qui bafouent les valeurs de cette dernière pour remplir à chacun « le coffre de l’oncle Picsou » ?
Bref, même si ces chercheurs « super publiant » ne toucheront pas en totalité les 100k€ de prime (puisqu’une partie reviendra aux research paper mills), le bonus annuel n’en est pas pour le moins inintéressant. Après tout, avec 75 k€ par an, on peut faire des trucs cools. Augmenter le plafond de son crédit immobilier, ou payer 19 vacataires à la fac pour un an.
Faites votre choix.
A titre personnel, je ne suis pas contre les primes à la publication. J’ai toujours trouvé déprimant qu’à la fac, le salaire reste le même qu’on soit un chercheur planqué ou un bulldozer publiant motivé. En revanche, nous pensons que cette pratique de la prime doit être encadrée pour éviter les dérives dont nous avons parlé plus haut.
Une autre raison pour laquelle je suis favorable à la prime à la publication : elle pourrait s’avérer intéressante pour les chercheurs indépendants.
Après tout, la plupart de mes travaux publiés n’ont aucunement été financé par le secteur public. Pour autant, ils tombent dans l’escarcelle de mon laboratoire, et sont évalués comme tel par l’HCERES tous les 5 ans. Aussi, même si je ne revendique pas un salaire en tant que tel, je pense qu’une plus juste rémunération des travaux qui sont repris par mon laboratoire pour l’HCERES serait très appréciable.
Je pense que tous ceux dont c’est le cas, surtout les chercheurs en SHS, seront d’accord avec moi.
Lorsqu’il s’agit de publier des articles scientifiques issus de travaux réalisés avec une entreprise privée, la prime pourrait également s’avérer intéressante. Car difficile de facturer un taux jour pour une publication scientifique, étant donné les nombreux tours de reviewing et les délais. Mais pourquoi pas, si une relation de confiance est établie entre le chercheur et son client, et que des travaux s’engagent sur le plus long terme.
A défaut de se verser un salaire en primes (sauf si on est EC dans une école de commerce), ça peut toujours mettre un peu de beurre dans les épinards.
Bref, comme dans les fables de la Fontaine, il y a-t-il une morale à cette histoire ?
Si nous devons faire preuve de réalisme et prendre en main la problématique d’une recherche sous valorisée et sous payée, tout en évitant à tout prix de la transformer en coffre-fort, pourquoi ne pas relire, pour se consoler, la fable du Héron ?
Car en ces temps « on hasarde de perdre à vouloir trop gagner ».